Guillaume Debat, docteur en histoire, Université de Toulouse
Compte-rendu :
“Dissimuler des ‘‘scènes dégoutantes doreur (sic.)’’ : les enjeux de la visibilité des corps des condamnés à mort dans la France révolutionnaire (1789-1799)”
Synthèse des discussions de la séance
Cette communication souhaiterait interroger les enjeux sensibles de la visibilité de la guillotine et du corps des condamnés à mort pendant la Révolution française. Les affects, sur cette question, prennent la forme d’une gêne, d’un embarras sensible ou d’un dégoût face à la guillotine et son spectacle. De telles émotions conduisent les autorités à investir le corps du condamné à mort, avant comme après l’exécution. Progressivement, cette gêne devient un rejet qui, appuyé par ces considérations sensibles et hygiéniques, conduit à une occultation de la guillotine de l’espace public. Ce phénomène, bien identifié pour le XIXème siècle, naitrait ainsi au cours de la « terreur ».
Les réformes pénales des premières années de la Révolution française entérinent le maintien d’une peine de mort pensée comme un spectacle public à la valeur édificatrice. Le châtiment suprême est généralement considéré comme devant imprimer des émotions fortes pour décourager les tentations criminelles chez les spectateurs tout en préservant leur vertu. L’adoption de la décapitation, en 1791, puis celle de la guillotine, en 1792, viennent concrétiser cette ambition, celle d’une peine de mort nouvelle dans une société régénérée. Or, au cours de ces débats au sein de l’Assemblée comme dans l’opinion publique, certains s’inquiètent des effets du sang et du spectacle d’un corps sans tête, sur les spectateurs. D’aucuns en viennent à rejeter la décapitation et à préférer des modalités d’exécution qui masqueraient le sang, voire la dépouille elle-même (machine à étouffer, machine à étrangler, etc.)
Par ailleurs, dès la période de la « terreur » (1793-1794), le spectacle de la guillotine pose problème dans de nombreux départements. Les administrations locales (municipales et départementales), les sociétés populaires et les comités de surveillance s’inquiètent de la mauvaise influence de la peine de mort. La guillotine ne préviendrait pas le crime. Pis, son spectacle produirait des émotions négatives qui pervertiraient la foule. Cette gêne se fixe d’abord sur certains aspects techniques de l’exécution comme la couleur de la guillotine ou la forme de l’échafaud. Elle concerne ensuite la corporéité de l’exécution : le passage des charrettes de condamnés et leurs effets sur les spectateurs, notamment les femmes (malaises, nausées, etc.), le devenir de la tête, le transport du corps, coupé en deux, du condamné vers le lieu d’inhumation, la visibilité de ce corps meurtri et le sang répandu, coagulant aux pieds de la guillotine, interrogent et inquiètent les autorités. Enfin, l’embarras sensible face à l’exécution publique devient un dégoût lors des exécutions ratées. Celles-ci heurtent la sensibilité de l’opinion publique, horrifiée d’une atteinte au corps et d’une souffrance qui excèdent les limites du supportable. Relativement nombreuses, les exécutions ratées cristallisent les inquiétudes des autorités qui, ne pouvant les prévenir, préfèrent reléguer la guillotine en périphérie des villes. Nous souhaitons faire l’hypothèse qu’à travers l’investissement du corps du condamné, de sa visibilité et de celle de la guillotine, le pouvoir politique local manifesterait une peur sociale, celle d’une foule qu’il connaît et contrôle mal, une foule dont les émotions et les débordements, particulièrement en contexte révolutionnaire font peur. Il s’agirait ainsi, en jouant sur les affects à travers le corps du condamné à mort, de maintenir l’ordre public.