Compte-rendu #5
“Faire dialoguer la recherche et le monde extra-académique sur la mort”
N.B. Ce compte fait suite à un atelier ayant réuni une quinzaine de personnes dans le but d’initier un dialogue entre le monde de la recherche et celui extra-académique sur les thématiques liées à la mort. Il s’agit d’une réflexion commune à laquelle prennent part l’ensemble des participant·es.
Construire un pont entre les professionnel·les et les chercheur·es, les faire dialoguer, échanger autour d’un sujet et de thématiques communes : voilà une tâche ambitieuse à laquelle il est difficile de se prêter. Tout porte à croire que professionnel·les et chercheur·es sont issus de deux univers distincts et imperméables tant leurs objectifs, leurs préoccupations et leurs temporalités d’action les différencient. Cette table virtuelle fut ainsi l’occasion de réunir les professionnel·les du milieu funéraire et les chercheur·es partageant un intérêt commun autour de la mort. Dans la lignée des précédents ateliers, le déroulement de la séance s’est appuyé sur les réponses des participant·es, qui avaient préalablement reçu un questionnaire leur permettant d’exprimer leurs propres questionnements et leurs attentes respectives.
La séance fut introduite par un exemple concret de collaboration entre monde professionnel et universitaire, celui des thèses par Conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE). Deux doctorantes bénéficiant de ce dispositif, Constance Moréal De Brevans et Marie Fruiquière, ont ainsi présenté leur expérience. Toutes deux ont mis en avant trois aspects qu’elles ont dû prendre en compte, non pas sans difficulté :
1. Présenter sa recherche (qui suis-je ? à quoi servent mes recherches ? pourquoi les mener ?) : Se présenter dans et en dehors de l’entreprise nécessite d’adopter une hybridité du discours, lequel alterne entre logiques universitaires et logiques entrepreneuriales.
2. La quête d’une temporalité commune : Le temps de la recherche (a minima trois ans pour une thèse) entre rarement en adéquation avec celui de la structure d’accueil. Dans certains cas, cette dernière attend des retours et des résultats rapidement, auquel cas le/la chercheur·e devra parvenir à restituer régulièrement les avancées de sa recherche. Mais il arrive qu’au contraire, le temps d’action de la structure s’étende au-delà de la thèse et que certains projets n’aient pas encore eu le temps de voir le jour, comme ce peut être le cas dans certaines structures politiques comme les collectivités. Dans cette situation, le/la chercheur·e devra s’adapter, faire évoluer sa recherche et ses objets d’étude.
3. Restituer sa recherche : Les enjeux relationnels sont au cœur des thèses CIFRE et il peut être ardu d’exploiter les données récoltées, ainsi que les verbatims employés lors des entretiens, tout en convenant aux attentes de l’ensemble des collègues. Ici encore, le/la chercheur·e devra faire preuve d’adaptabilité dans le rendu de sa recherche.
Si les collaborations existent déjà, celles-ci restent rares et font face aux réticences des un·e·s et des autres.
Mais la recherche est-elle uniquement le pré carré des universitaires ? Question surprenante, quelque peu provocante, mais néanmoins nécessaire : ne pouvons-nous pas dire que les professionnel·les du milieu funéraire participent d’ores et déjà activement à la recherche en acceptant de répondre aux questions d’un·e chercheur·e tout en faisant part de leurs expériences et de leurs analyses ?
Cette réflexion est susceptible d’être approfondie car si la recherche revient à questionner l’ordinaire, alors beaucoup de professionnel·les ont pour laboratoire leur(s) locaux de pompes funèbres et pour outils leurs entretiens funéraires réalisés auprès des proches des défunts et les mal nommés questionnaires « de satisfaction ». Dès lors, les professionnel·les sont amené·es à s’interroger sur la praticité des produits ou des prestations proposés ainsi que sur leur sens. Qu’est-ce qu’un rite ? Qu’est-ce qu’un deuil ? Que signifie se recueillir ? Dans quelle « utilité » sociale s’ancrent ces professionnel·les ?
Certes, le vocabulaire, les démarches et les logiques entre le monde de la recherche et le monde entrepreneurial et professionnel ne sont pas les mêmes. D’un côté, les professionnel·les ont une vision de l’évolution des pratiques et des rites, mortuaires comme funéraires, à l’échelle fine de leur localité et de leur région. De l’autre, les chercheur·es ont une vision souvent plus générale et donc une vue d’ensemble leur permettant de dresser un état des lieux de ces évolutions. Pour autant, les premiers risquent de se concentrer sur leur expérience et d’en faire une généralité, quitte à perdre une nécessaire vue d’ensemble ; au contraire, les seconds risquent de se focaliser sur le général tout en s’exposant à la menace de perdre cette vision plus fine et ainsi d’échapper à la connaissance des multiples problématiques locales liées aux pratiques et aux rites funéraires.
Face à l’émulation initiée par ces échanges, la discussion s’est close sur la nécessité d’encourager et de bâtir des liens entre les chercheur·es et les professionnel·les partageant des thématiques communes sur la fin de vie, le mortuaire comme le funéraire.